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Les habitants éphémères
La journée internationales du patrimoine 2011
Habitants Éphémères
Installation de personnages de papiers travaillés
L'église de Savins. Seine et Marne Septembre 2011.
Nathalie Réveillé. Historienne et sociologue de l'art.
Depuis les origines des plus reculées, les sociétés dites organisées ont élaboré et spécifié un grand nombre de lieux de rassemblements sociaux. Qu'ils soient sacrés ou profanes, le catalyseur de ces endroits de regroupements fait corps en un point focal de visibilité où convergent, telles des rigoles d'eau grossissantes en coulées sinueuses, diverses lignes de déambulations humaines.
Établis de façons aléatoires ou volontaires, ces déplacements sous forme de marches, qui deviennent très rapidement, selon les temps et les orientations, votifs, prophylactiques ou artistiques, aboutissent logiquement à des rassemblements de foules. L'église, du latin "eclesia" où du grec "ekklesia" aux sens étymologiques du terme, s'appuie sur cette désignation première. Elle se définit en effet et avant toute autre interprétation, comme étant en elle-même une assemblée. Il fallait donc aux personnages de papier de Geneviève Trivier une intuition toute ancestrale pour pénétrer dans le lieu qui, avant même d'être celui de la consécration et de la religion, fut l'endroit de l'assemblée, du rassemblement et du partage de l'Idée. Ces passagers sont entrés là, comme le premier homme le fit dans la grotte sombre, comme le premier découvreur le fit en terre inconnue. Nouveauté, stupeur, effraie, qui généra le moment crucial du souffle de l'inspiration, le moment ultime d'avant : le tout début de l'Art. Ils ont ainsi franchi, au terme de ce qui parait avoir été une longue marche initiatique, une porte, un seuil, une ouverture. Ils ont su trouver et s'approprier, pour quelques moments seulement, afin d'envisager déjà leur prochain départ, afin d'y laisser leur emprunte aussi, une trouée vers un lieu calme, paisible et protecteur. De passagers ils se sont fait 'habitants éphémères'. Sans corps réels et pourtant si imposants, ils sont arrivés là au terme d'un long cheminement. Déambulation. Usés, comme des animaux venus déposer leurs futures dépouilles. Mues de kraft et de torsions... de quelques êtres déjà passés ou en devenir, simplement. Ils s'inscrivent en une écriture possible sur les murs et les pavements abîmés. Ils s'imprègnent du lieu et lui offrent, en transmission, un savoir. Ils soulignent un non dit. Ils exigent le silence et pourtant en disent long. Sans fioriture, sans marque d'écriture, ils sont cependant fort proche du livre ouvert qui pourrait contenir à lui seul le savoir ancestral. Ils se déploient, corps, accords, comme la page où il est encore possible de tout inscrire. A la fois attente et proposition. A la fois savoir et recherches. Repliés, tordus, soutenant et tenant, ils attendent la venue d'autres êtres, chairs et os cette fois, qui auront su les entrapercevoir le temps d'un regard, d'un geste, d'une pensée. Ils les supplient silencieusement de prendre le relais. ils espèrent leurs envies de créer, de voir... Le temps d'une éphémère visite. Toujours en mouvement, ils repartiront alors, non sans avoir souligné le geste ample, fort, puissant de l'artiste qui leur a donné pour quelques moments un souffle de vie en tordant, froissant, pliant, dépliant la feuille brune à la fois rigide, fragile et cassante du kraft. Entrer. Sortir. Dedans. Dehors... "Par-delà la limite de tout ce qui est clos en soi-même, par-delà la surface qui déploie cette limite, commence le dehors. Dehors n'a pas de limite, parce qu'il n'a pas de corps. Dehors est l'illimité qui contient les limites des corps limités et finis. Dehors est tout contre les corps, mais en cette proximité retentit un lointain- il est le continuum par-tout infiltré qui assure sans transition le passage du proche au lointain. Césure en masse sans poids des césures- l'espacement, jusqu'au ciel inclus. Ni surface ni étendue ni volume ni même creux, dehors pourtant n'est pas rien, ni vide, il est..." "... Au papier nous sommes redevables de notre forme""- écriture et lecture passant par son tamis fragile, qui a permis ces coulées, ces vitesses, ces repérages, ces notes et surtout ce rapport à soi sous la lampe, cet apprentissage du paysage par les cartes qui le racontent en le pliant." ( Jean-Christophe Bailly. "Le propre du langage". Dehors.Papier. La librairie du XX e siècle. Seuil. 1997.)
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